Interview de Seshat Joie-des-Astres

Entrevue avec Seshat Joie-des-Astres

Salutations ! Je m'appelle Seshat mais on me surnomme Joie-des-Astres. J'ai 28 ans, je suis métisse arallu et kigallu (Clan de la Lune) et je fais partie des Prêtres de Kur-Kigal. Dans la vie, je suis prêtresse supérieure de Gula et professeure à la Maison de Sagesse. Côté cœur et orientation sexuelle, sachez que je suis une éternelle fiancée et bisexuelle. Je suis également définie comme de genre Shua’Ru (Inanna actuellement).

❖ Si on t'imposait de choisir entre la prêtrise et l'enseignement à la Maison de Sagesse : quel serait ton choix au final ?
Choix difficile. Pour commencer, je ne conçois pas qu'on n'oblige qui que ce soit à faire un choix aussi absurde. Les deux ne sont pas incompatibles. Cependant... Je choisirai la voie de l'enseignement. Car je sais que Gula sera toujours ma déesse tutélaire quoique je fasse.

❖ Ça t'est arrivé d'être Shamshu ?
Je ne m'en souviens pas très bien... Mais oui. Dans mon enfance. Lorsque je ne comprenais pas encore très comment fonctionne mon propre corps, ni que je pouvais aimer qui je voulais sans faire cas du sexe et de l'apparence de l'autre personne... C'est peut-être de là qu'est venue sournoisement la peur déraisonnable de passer ma Nuit Voilée. Je n'ai pas été Shamshu longtemps. Et si je me considère Inanna désormais, je préfère penser que je suis avant tout une créature humaine, apte à changer et évoluer.

❖ Que penses-tu de Gula ?
Elle est la matrice primordiale, la Terre-Mère, symbole du renouveau, du cycle sans fin de la vie et de la mort... Difficile de parler d'elle avec des mots, si pauvres de sens. Gula est la seule divinité qui a réellement su toucher mon âme. Si tous les dieux doivent être respectés et ne pas être oubliés, dans notre ingratitude coutumière, elle est la seule à mes yeux qui soit digne d'une véritable vénération sans rien demander en retour. Elle est la plus sage, la plus féroce, la plus pure. Je suis une de ses prêtresses alors suis-je vraiment objective ?

❖ Que penses-tu de Derketo ?
Si elle existe vraiment et se manifeste à nous aujourd'hui... Peut-être l'avons mérité. Peut-être, également, avons-nous le devoir de nous battre. Cette épreuve, qu'elle nous envoie, est un rappel. Les dieux sont nécessaires au cycle naturel mais, tout comme nous les mortels qui sommes leurs reflets incarnés sur cette terre, ils sont capricieux et violents. Derketo est la pire de tous. Parce qu'elle ne nous laisse pas le choix, ne nous parle pas - quoi qu'en disent ses prêtres - et je suis presque certaine qu'elle ne nous apprécie pas davantage... Nous sommes le vaisseau de sa punition, rien de plus. J'ai un grief personnel contre elle, que je ne puis pardonner... Je ne la respecte que parce qu'elle met au jour la vilenie de notre sang, la folie de nos cœurs mais j'ai juré de trouver un remède à sa souillure. Elle m'a volé mon frère. Je ne la vénérerai jamais.

❖ Est-ce que cela sécha longtemps ?
...
Joie-des-Astres dévisage son interlocutrice en silence, les lèvres pincées, le regard plus fixe que celui d'un aigle sur le point de fondre toutes serres dehors. Après d'interminables secondes, son immobilité de pierre se rompt enfin. Un sourire énigmatique étire ses lèvres.
Je vais prendre cela pour un trait d'humour.
(joueuse se facepalm)

❖ Tu sembles bien entourée... Est-ce que cela est vrai ?
J'ai la chance d'avoir une famille aimante et relativement tolérante, d'avoir des amis dont je suis particulièrement fière... Et j'ai ma fille. Oui, je suis bien entourée. Cependant, il me faut ouvrir les yeux, tandis que les années passent : je crains d'être parfois pour mes proches davantage un soutien qu'ils ne le sont pour moi. Peut-être parce que je ne m'ouvre pas assez à eux. Peut-être parce qu'ils me jugent suffisamment forte pour m'en sortir seule. Et ils auront raison de penser ainsi. Je suis aussi coupable qu'eux. Au fond, nous sommes toujours seuls face à nous-mêmes.

❖ Si tu n'avais qu'un point faible, le quel serait-ce ?
En voilà une question indiscrète ! (rit sous cape) Par réflexe, je répondrai ma fille. Si tout devait s'effondrer autour de moi, si je devais tout perdre, je pourrai espérer me relever, si mon Adria demeurait saine et sauve à mes côtés.

❖ Quel est le meilleur moment de la journée ?
L'aube. Lorsque la nature s'éveille sous la caresse du soleil. Lorsque la lumière chasse les ombres et les peurs de la nuit. Lorsque Gula pose un regard farouche sur le territoire qu'elle protège et régente. Lorsque j'ouvre les yeux, encore une fois, preuve en est faite que je suis toujours en vie.

❖ Quelles sont tes aspirations actuelles ?
Traitez-moi de naïve et d'idéaliste en proie à une folie douce ! Je souhaite que l'éducation devienne un véritable phare pour notre civilisation. Nous ne pouvons que devenir meilleurs en terrassant l'ignorance car elle est la mère de tous les maux. Ni prêtres ni nobles ne devraient asservir le peuple, ou leur propre famille, par l'obscurantisme. Il ne faut jamais cesser de se poser des questions. C'est notamment pour cela que je suis professeure à la Maison de Sagesse. Si je peux transmettre un peu de savoir et de ma curiosité, je sais que j'accomplis une grande mission.
...
J'ai également un vœu secret. Je rêve de trouver un jour un remède à la Souillure, si ce n'est définitif, du moins un qui puisse soulager toutes ces souffrances instrumentalisées par le Temple de Derketo.

❖ Pourquoi "Joie-des-Astres" ?
Comment le saurais-je ? Les prêtres qui m'ont donné cet honorifique ne m'ont pas fait l'honneur d'une véritable explication ! J'ai néanmoins ma théorie, par ce que j'en sais de ma mère et mon père qui furent notamment consultés à ce sujet. "Joie-des-Astres" car je fais la joie des savants et des bibliothèques, car je cultive mon érudition depuis mes jeunes années, car je ne vise rien de moins que le ciel pour m'épanouir et prôner la tolérance, l'éducation, la curiosité, dans cette civilisation aveuglée par sa propre médiocrité.
Mais aussi... "Joie-des-Astres", car ma quête de la vérité m'éloigne des miens, car seuls les astres semblent avoir de la valeur à mes yeux et non plus mes proches sur cette terre, car seuls les dieux seraient capables d'émouvoir mon cœur de pierre et de s'en réjouir. Tous les dons sont à double-tranchant...

❖ Que regrettes-tu de ton frère ?
Tout. Absolument tout. Soupir. Il était mon jumeau, mon complémentaire et mon opposé. Naïvement, j'ai cru pendant longtemps que nous n'étions qu'un, une âme dans deux corps différent, plus puissants et flamboyants réunis que toutes les comètes du monde. J'aurais aimé partager tant de choses avec lui... Je sais qu'il m'aurait comprise comme personne ne peut le faire aujourd'hui. Nous étions le reflet l'un de l'autre. Quand je me regarde dans un miroir, parfois, c'est lui que je vois. Le pire étant que le souvenir le plus vil mais aussi le pérenne, que je conserve de Jaehu, est celui de son agonie. L'enfant que j'étais est morte avec lui.

❖ Raconte-nous un moment heureux de ton enfance.
Regard perdu dans le lointain.
Tous mes souvenirs d'avec mon frère. Curieusement...
Sourire hésitant, mi amer mi rêveur.
Nos jeux dans les jardins de la propriété familiale. Le coucher de soleil sur le port de Lelag-Leng, lorsque notre mère nous a emmené voir grand-père Khazan. Mes premiers pas à la Maison de Sagesse, ce jour où j'ai déroulé le rouleau d'astronomie. Mes premiers tatouages, en hommage à la culture, fière et jamais oubliée, de l'Empire d'Aral. Mais je crois, finalement, que le plus beau de mes souvenirs d'enfant, c'est la première fois que Père a posé un faucon sur mon épaule bardée de cuir. J'ai su aussitôt que mon âme était celle d'un oiseau de proie.

❖ Titre de question :
Réponse.