Ce soir, sous le couvert des étoiles et d’un astre qui croit, je vais pouvoir retrouver mon ami. Celui qui, à mes yeux, est plus un frère que les concernés. J’avais attrapé une cape afin de me couvrir. Pour aller au devant de Stygian, je ne cherchais pas forcément à dissimuler mon identité. Qu’un prince soit proche et ami d’un Hundra, je ne pense pas que cela puisse me faire du tord. Contrairement à il y a deux nuits, où je suis allé chercher ces documents. Dois-je les donner à Stygian ? Ou dois-je plutôt demander une entrevue au Haut de Dingir ?

Je préférais ne pas penser à cette partie pour l’heure. Retrouver mon ami était ce qui m’importait. Et comme toujours, c’est après lui que j’arrivai. Je baissais la cape qui couvrait ma chevelure, et son visage se tourna vers moi. Mon sourire s’accentua, trahissant ma joie de le retrouver après tant de temps. Je le réceptionnais, alors qu’il me sautait au cou. Un léger rire quitta ma gorge à son action, car je ne pouvais que m’en amuser. Et pour rien au monde, je lui aurais dit que nous n’étions plus des enfants pour ce genre d’étreinte.

« Que veux-tu, me connaître c’est m’adopter… petit Sty ! »

Je le taquinais volontairement, surtout pour cette histoire de petit. Pour autant, son baiser sur ma joue sonnait comme un retour aux sources. Et quoi de mieux qu’une fontaine en fond pour ce genre de moment ? Son explication vint aussi naturellement que ses mots, et je ne pus retenir ma main droite de glisser dans ma nuque. J’étais un peu gêné qu’il pointe le fait que j’étais du genre très candide enfant.

« Mais j’ai grandit… Et je suis plus indépendant aussi. Enfin… Malgré ça, tu restes toujours mon précieux ami Stygian. »

User de son honorifique ? J’en aurais bien du mal. Je le laissais me traîner vers la fontaine. L’amusement se lisait dans mes yeux, et lorsque je pris place sur le rebord je ne pus m’empêcher de glisser ma main dans l’eau fraiche. Jouant un peu avec la surface, j’aperçu quelques shekels dans le fond. Enfant, moi aussi j’avais jeté un shekel et fait un vœu. Le vœu de pouvoir rester avec ma mère et Castia, de leur présenter Celil et Stygian, et de vivre normalement. J’étais vraiment naïf… Pour autant, mon ami empêcha le silence de s’installer. Et pour cela, je l’en remerciais du regard malgré ses mots. Il faut dire que je n’ai jamais trop sût par quoi commencer ! Et de nous deux, je suis souvent le plus radin en parole.

« Rassure-toi, je ne me mettrais point à réciter chant et poème. Combien même ta chevelure, de son opalescence naturelle, fait-elle ombrage à la lune elle-même. »

Un clin d’œil accompagnait mes mots, et je devais m’empêcher de rire bêtement. Récupérant la pièce que j’avais aperçue au fond de l’eau, je l’observais avec mélancolie.

« C’était avec toi, qu’on avait lancé des pièces en faisant un vœu : non ? Je ne sais même plus où nous avions entendu cette histoire de fontaine à souhait… Enfin, tu te doutes bien que l’art lyrique n’est qu’un moyen pour moi. Mais avant ça… »

Je reposais la pièce dans l’eau pour le détailler du regard. Il avait changé depuis notre dernière rencontre. En fait, depuis nos Nuits-Voilées respectives… Nous n’avions put qu’échanger par lettre ou en nous voyant de façon assez lointaine. Sans pouvoir vraiment échanger. Ou lors d’entrevue bien trop éparse. Je me penchais un peu, et taquin j’attaquais donc :

« Alors ? Que deviens le bel Hundra que tu es ? Un amour en vu ? Une crise soudaine de foi ? »

Car je suis bien placé pour savoir que s’il avait eut le choix, il n’aurait probablement pas fini lié de si prêt à la prêtrise ! Hundra ne veut pas forcément dire être fanatique des dieux !

Une fausse demi-révérence accompagne ses compliments sur mon usage du verbe. Pour l’heure, je préfère rire et m’amuser avec mon ami, en essayant de garder la même légèreté qu’à l’époque. C’est probablement pour cette raison que je fus transporté par nos souvenirs communs. Son attention à mon égard me rappela qu’il avait toujours été prévenant avec moi. Si je montrais des signes de fatigue ou de surmenage, ou encore de la mélancolie, il était le premier à le percevoir et à me forcer au repos. Il me couvrait alors, en faisant croire que je travaillais même s’il n’en était rien. Mais moi, je n’avais pas son empathie et je ne voyais que difficilement ses faiblesses. A croire qu’il avait aussi un talent pour cacher ses émotions à mon regard.

« Un vœu ne doit-il pas rester secret pour perdurer ? » demandais-je, taquin.

Le mien, comme vœu… Je m’en souviens encore. Je souhaitais pouvoir revoir Celil, et le présenter fièrement à tous comme étant celui que j’aimais. Oui, je voulais pouvoir le présenter sans honte, ni secret, à la Cour mais surtout à Stygian. Lui dire, par cet acte, quelque chose comme ‘Tu vois ? Je ne suis plus seul alors… Ne t’en fais pas pour moi, et envole-toi librement !’ … Car au fond, je me demande si mon existence n’est pas une des choses qui l’ont empêché de fuir son statut d’Hundra, de fuir la religion, pour vivre sur les routes tel un vagabond à la merci de Zura.

Cette sensation de faire partie du rouage qui l’enferme s’accentua, alors que je l’écoutais. Je ne sus comment cacher mon inquiétude, et je préférais donc la lui évoquer sans plus d’attente.

« Reste prudent Sty… La prêtrise n’acceptera pas tout sous prétexte que tu es un époux divin. J’aimerai pourtant qu’il en soit autrement… »

Que même les Hundra puissent choisir leur destin. Néanmoins, je ne m’attendais pas à ce qu’il évoqua. Le regard incrédule, de la joie naquit sur mon visage face à son engouement. Une sœur, hein ? Suis-je aussi doux et heureux quand je lui parle de Castia ?

« Tu me la présenteras un jour. Et puis, j’arriverai à te présenter Castia pour ma part ! Elle doit bientôt rentrer à Shurug, ce serait une bonne occasion ! Une sortie entre fratrie peut-être ? »

Des moments simples de la vie de tous les jours. Enfin, personnellement, j’ai plus d’une sœur et d’un frère mais… Il sait que mes liens familiaux sont plutôt compliqués. Mais sans plus attendre, nous enchaînions. Et je fus content de savoir que s’il n’avait pas trouvé l’amour, il avait au moins des personnes suffisamment proches pour ravir ses jours et ses nuits. Néanmoins, je dûs me retenir pour le fait de parler de mes propres amours. Déjà que j’ai fais la demande en mariage la plus bizarre qui soit, je ne saurais comment aborder le sujet. D’autant qu’avant de parler de mes amours, il faut régler l’histoire de mes fiançailles !

Le contact de ses doigts sur le dos de mes mains, ça me rappelait quant enfant il se postait en grand frère protecteur et à l’écoute. J’avais parfois la morve au nez et la larmiche au coin de l’œil, alors que je lui disais qu’on m’avait interdit de voir ma mère ou Castia. Enfin, aujourd’hui, je n’étais pas prêt de pleurer comme à cette époque ! Mais il y avait tant que je ne lui avais pas encore raconté… La nuit suffirait-elle ?

« Je… Je ne saurais pas par où commencer. »

Un soupir quitta ma gorge face à mon aveu. Mais face à son regard, son soutien, je baissais les yeux. Combien de fois lui ai-je parlé de ma mère ? Il connait Chatura Rire-de-Rivière aussi bien que moi. Et jamais, jamais je ne lui ai parlé de ce qu’elle devenait un peu plus chaque jour, à chaque lune aussi. Je pense que l’affaire de Pas-Feutré attendra, je verrais directement avec le Haut-Prêtre de Dingir pour cette histoire. Je préférais réveler d’autres choses à Stygian. Avec Celil, je parle du royaume. Avec Ombre-de-Lune, j’évoque mon amour. Avec Castia, je parle de père ou de politique. Mais au final, pour parler de ma mère et de ce que je ressens face au culte de Derketo : n’ai-je point que mon frère de cœur pour ça ?

« Je ne t’ai jamais dit pourquoi mon père m’a assigné à mes appartement durant une année entière, sans même m’autoriser à correspondre ou sortir… »

Je sentais mon corps frissonner. Me souvenir m’était difficile, et je ne pus m’empêcher de me mordiller la lèvre inférieure. Inspirant, et expirant, je me concentrais sur le mouvement des pouces de mon ami. Sur ce massage de la main qui m’avait toujours calmé.

« Ce soir-là, la veille de ma Nuit-Voilée… Je me suis introduit dans le sérail. De façon illégale. Tu savais, que ce soir-là c’était une pleine lune ? Moi… Je n’y avais pas prêté attention. Je ne pensais pas que ça importait… »

La pleine lune, où quand les étranges créatures marines viennent chercher des humains aux abords d’Irsmun. Un symbole fort du culte de Derketo, car c’est un peu un des éléments que nous craignions tous au fond. Je déglutis, et je sens mes yeux plus humides alors que je parle, me confie enfin sur ce que j’ai vu cette nuit-là.

« Ma mère… Elle… Elle n’avait plus rien d’humaine. Tu parles d’une maladie ! Sa peau était clairsemée d’écailles, et son sang d’un noir profond. Ce n’était même pas notre langue qui quitter sa gorge et ses cris. Même aujourd’hui, j’ignore si son état s’est stabilisé ou à empirer. Et si elle mourrait… Je ne suis même pas sûr que cela me soit annoncé. J’ai des doutes sur la Mère-des-Profondeurs : peut-elle vraiment endiguer cette horreur ? Si oui, pourquoi ma mère doit-elle subir ça ? Je… »

Les mots moururent dans ma gorge, et de la colère se mêla à l’impuissance, la peine, et la peur. Pour la première fois, je parlais à quelqu’un de ce moment qui me réveille encore parfois en sursaut, la peau moite et le souffle court. Ce cauchemar contre lequel je me débats, m’étouffe : seul.