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Le bruit saturait ses tympans, l’effervescence de couleurs et de lumière qui se réfractaient sur les milles métaux l’environnant l’aveuglait. Les épices, onguents, huiles et parfums envahissaient ses narines et lui troublait l’esprit. Si bien qu’il se coupa de tout cela, fermant ses paupières et dirigeant son regard en lui…

… Se focalisant simplement sur la voie parcourue jusqu’à ce jour.

Bien des choses avaient été hors de tout contrôle, lui qui pensait que ses seules mains étaient capables de tenir fermement le cordon de son propre destin. Mais s’étaient-elles déroulées si différemment de ce qu’il avait escompté ? Dans l’immédiat, la réponse ne lui paraissait pas encore claire. Avait-il voulut tout ceci ? L’avait-il subit ? En un temps, l’évidence lui serait apparut immédiatement en tête, mais cette époque était révolue. Depuis que la conscience et le souvenir habitaient son corps, Akilah avait tout fait pour maîtriser le chemin qu’il arpentait. Né d’une faiblesse mortelle de corps et d’une force rare de l’esprit, l’un avait alimenté l’autre de ses idées, palliant peu à peu à ses handicaps, meublant une charpente qui ne cessait de s’agrandir – de le torturer – et concevant pour idée première qu’un Dieu le regardait et le testait à chaque instant afin de justifier le moindre pas qu’il faisait vers l’avant.

C’était une ère de difficulté où il se contentait de recevoir, infiniment, goulûment, tout ce qui passait à sa portée, quitte à ne pas le comprendre sur l’instant, étoffant d’autres savoirs, d’autres connaissances afin de remplir les vides plus tard, lorsqu’il aurait les outils nécessaires. Il se souvenait la douleur vive, l’épreuve qui lui était infligée, mais étrangement, il gardait en mémoire de ce temps une joie profonde, dénuée de la moindre tristesse. Ô, celle-ci viendrait plus tard, cela aussi était gravé dans sa réminiscence. Chaque instant de sa jeunesse avait été mis au profit de faire face à ce que le monde dresserait sur son chemin, parfois volontairement, tantôt inconsciemment et profitant d’un cadre idéal que peu, voir aucun, n’aurait pu avoir comme lui. Prince du Soleil, né sous les meilleures auspices, le drame seul de sa vie lui avait été raconté, il ne l’avait pas vécu. Il avait eu accès à tout, à tous, rien ne lui avait été refusé et il avait su profiter de chaque sources qui avait été mise à sa disposition.

Puis un jour, la douleur avait cessé, ou du moins, elle s’était faite acceptable, peut être s’y était-il enfin habitué… Il ne savait plus, tout cela remontait à loin à présent. Inspire-aux-Cieux naissait alors, subissait ses premières véritables défaites, de celles qu’il avait tant et si bien refusées qu’il était allé plus loin encore que de l’avant. Rejoignant la demeure de Grand-Père-Tonnerre pour des raisons toutes personnelles dont la foi était bien étrangère, il avait cependant trouvé celle-ci dans la grandeur de ce temple, des gens qui s’y trouvaient, la dignité de son Haut d’antan, la force de ses prêtres. Malgré son savoir, sa soif de ce dernier et de science, il se vit devenir homme de croyances sans que ces opposés ne se contredisent jamais. Devenu titan, guerrier sans égal et érudit à la fois, on le désignait comme incarnation vivante de Dingir. Dans sa fierté, sa naissance, sa noblesse, sa force, il illustrait à la perfection chaque trait du Dieu qu’il servait, celui là même qui l’avait testé et éprouvé durant toute son enfance.

Mais lorsqu’un nouveau Haut fut à choisir, on lui préféra une Inanna, Arallu de surcroît. Ce qu’il eut ressenti alors, il le terra au fond de lui, ensevelit dans les abîmes de sa psyché pour ne jamais plus y penser et il s’était agenouillé face à elle, se dévouant à son service d’égale mesure qu’il s’était consacré au Père Divin. Très vite en était-il devenu le bras droit, prêtre supérieur avant sa venue, juge et juré à la fois, il n’avait jamais considéré que trois êtres qui lui étaient supérieur : Le Seigneur des Cieux, le Prêtre-Roi et d’Aube-et-d’Or. Et dans ces sommets de supériorité où il se trouvait, il se cru tributaire du poids d’une solitude extrême. Était-il devenu hautain ? Suffisant ? Imbu de son propre être ? Et si oui, comment ? Ces questions, pour la plupart, revenaient à une réponse affirmative et évidente qui lui en coûta. Son arrogance manqua de tout lui faire perdre. Un orgueil nourrit par une réussite inattendue, fulgurante et dénuée d’obstacle, jusqu’à la promesse du mariage avec Cœur-de-Glace, liant sa famille à celle de Marche-sur-le-verre par la même occasion, quand bien même les liens du sang n’étaient d’apparence d’aucune priorité.

Face à l’incarnation vivante du Fils, il oublia les préceptes même de sa Déité, s’octroya le privilège de la traiter comme un être parmi autres, la jugeant comme il le faisait pour chacun – Tout en sachant pertinemment ce qu’il faisait, très certains que sa leçon serait assimilée, lui évitant les inévitables conséquences de ses actes. Un Temple lui fut interdit. Son titre lui fut retiré. Son orgueil malmené le poussa à se bannir lui-même de son propre sanctuaire. Le fait lui apparut alors nettement, les brumes de son esprit se dissipèrent sur une clarté sans équivoque. Son temps s’était ainsi divisé en deux épreuves, enfant, son corps était une prison de douleur dont il s’était évadé en usant de la machine de son intellect. Lorsqu-il fut parvenu à oublier et passer cette dernière, son cœur, son âme et son mental furent pesés et mesurés. Jamais il n’avait considéré la chose avant ce jour.

Mais le résultat parlait de lui même, lui qui avait toujours pensé avoir passé avec succès les pièges dressés sur son passage durant sa jeunesse, il ne s’était pas rendu compte que ceux ci avaient tout simplement pris forme différente. La naissance d’un orgueil palpable s’inscrivit sur ses traits tandis qu’il concevait qu’à leur tour, il avait triomphé d’eux. Fort de cette impression là, face à la grandeur de ce jour, il rouvrit les yeux sur la longue avenue que le cortège empruntait alors, les lumières étaient devenues plus acceptables, il filtrait les odeurs et les bruits ne le dérangeaient point. De part et d’autre s’animait un public nombreux, plus qu’il ne l’avait jamais vu à l’exception de passage de la Haute de Sabaoth, lors de cette soirée en l’honneur qui avait été faite pour cette dernière et à l’avatar équin du Dieu des plaisirs. À cette simple pensé, le visage innocent de la jeune hundra s’imprima dans ses pensées.

Serait-il ici sans son concours ? Avait-il vraiment parcouru ce chemin aussi seul qu’il l’avait cru, de prime abord ? Elle avait été la source de certains maux, mais plus encore, si cela avait été possible, elle lui avait permis de grandir. Ses iris virèrent sur la droite, devinant plus que surprenant les traits de Fête-Furie. En aurait-il été au même point si elle ne s’était pas mise sur son chemin ? Sa fierté mal placée se dissipait à mesure qu’il prenait conscience de ce qui faisait de lui ce qu’il était. Alors, au dessus de la clameur générale, il entendit une voix toute familière hurler joyeusement son nom. Pas son honorifique : son nom d’enfant. Sans qu’aucune colère ne l’accapare, il avisa de ses prunelles la source de ce qui aurait été, venant de tous, une insulte, mais pas d’elle. Hure-Féroce se laissait parfaitement deviner par ses grands gestes dans la foule, mais plus que tout, par la radiance de son sourire qui fit renaître celui du géant sur son propre visage.

Il était désarçonné par la révélation qu’il se faisait de son propre chef, mais il n’en souffrait en aucun cas. Si elle était son Soleil, elle ne lui rappela pas moins sa Lune, bien qu’il su que même s’il l’avait voulu, il n’aurait pas pu trouver dans cette foule la splendeur subtile qui irradiait de Marche-dans-l’Ombre. La princesse à qui il n’était pas marié avait plus que révélé une part toute humaine dans son cœur tantôt trop fier et son seul souvenir caressait son âme. D’autres noms, d’autres visages succédèrent sans qu’il n’eut besoin de les voir. Votava, Castia, Fenty… Et plus encore. Avisant l’horizon vers lequel cette longue voie le guidait, il se retourna vivement sous les applaudissements, les rires et les chants qui lui étaient dédiés, sans plus leur accorder la plus petite attention. Non, il fixa depuis le sommet du char par lequel on le transportait la route qu’ils avaient déjà parcouru, une question unique ayant rassemblée toutes celles qu’il s’était posé jusque-là :

Lui qui avait toujours considéré être seul durant sa vie…

… L’avait-t-il jamais été une seule fois ?

Lui qui avait prit pour certitude le fait qu’il s’était façonné de son unique effort…

… Il rattacha soudain un visage à chaque pierre qui formait son édifice.

Père, Mère, Sœurs, Maîtres et Professeurs, rares amis, alliés, ennemis, confidents, amantes, âmes-sœurs…

Akilah retint un fou-rire, mais ses traits dignes ne purent masquer son amusement et son plaisir. Et sous le tumulte d’une foule immense, dans les fumées d’encens balancées de part et d’autre du cortège, sous la lueur de l’astre-Père, le nouveau Haut de Dingir afficha un sourire sincère, comme on ne lui avait jamais vu en public jusqu’à ce jour.